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Colloque de l’Association des économistes du Québec - Allocution de Sophie Brochu

7 Avril 2016 - Allocutions

Distingués invités,

Mesdames, Messieurs,

Je suis touchée par votre invitation et votre accueil.

C’est la première fois que je m’adresse à un parterre d’économistes.

Alors, j’ai quelques papillons. Et une manifestation certaine du syndrome de l’imposteur.

N’empêche! Je ferai de mon mieux pour retourner la faveur du temps précieux que vous m’accordez ce matin. En le rendant, je l’espère, le plus utile et agréable possible.

*****

En 1987, je graduais en sciences économiques à l’Université Laval.

Sous les auspices du professeur Ayoub, à qui je dois beaucoup et qui nous fait le plaisir d’être des nôtres ce matin, je me suis spécialisée dans le domaine fascinant de l’énergie.

J’y voyais alors des possibilités infinies : du budget des ménages aux politiques industrielles des pays.

Les 30 dernières années ne m’ont pas déçue.

L’énergie, c’est le sang de l’économie; c’est une composante fondamentale de la géopolitique mondiale; elle est au cœur de l’identité québécoise et canadienne; et elle est bien sûr centrale du plus important défi auquel fait face l’humanité, celui de la lutte aux changements climatiques.

Pas surprenant donc que l’énergie suscite autant de passions.

Et pourtant, s’il y a un sujet qu’il faut aborder à tête reposée, c’est bien l’énergie. C’est ce que nous allons faire ce matin.

*****

Comme vous le savez, en décembre dernier, le monde s’est réuni à Paris.

Dans un élan historique, 195 pays ont pris l’engagement de lutter contre les changements climatiques.

J’ai tenu à être sur place pour la COP21.

Comme citoyenne du monde, j’ai été renversée de voir cette mobilisation mondiale.

Comme citoyenne du Canada, j’ai été ravie de voir le Canada refaire surface après une hibernation conservatrice de 10 ans.

Et à Paris, comme Québécoise, j’étais fière de voir le Québec reconnu pour son leadership et son rôle de pionnier de la lutte contre les changements climatiques en Amérique du Nord.

Tout cela était franchement exaltant.

Mais maintenant, le party est fini.

Les kodaks sont partis.

Tout le monde est rentré chez soi.

Loin de moi l’idée de minimiser les efforts déployés pour se rendre jusqu’ici, mais je dirais que le gros du travail ne fait que commencer.

Se fixer des objectifs est une chose. Se donner les moyens de les réaliser en est une autre.

*****

Aujourd’hui même, le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec, Monsieur Pierre Arcand, rendra public la nouvelle politique énergétique du Québec.

J'ai hâte de lire ça.

Comme celles de tous les québécois, mes attentes sont élevées.

Le défi est de taille : déployer une politique énergétique qui réconciliera « dans la vraie vie » nos ambitions économiques et nos aspirations environnementales. Il s’agit là d’une contorsion extraordinairement exigeante, qui est le propre de notre époque et à laquelle doivent se livrer tous les pays du monde.

J’espère trouver dans la nouvelle politique énergétique une attitude de gagnants. Une approche ambitieuse et résolue qui nous mènera vers un Québec plus fort, plus innovant, plus performant.

Une politique énergétique, ce n’est pas un truc accessoire. Un document qui amasse poussière dans l’indifférence. C’est une pièce maîtresse pour notre économie, une assise sur laquelle construire notre futur collectif en guidant nos actions individuelles.

Pour construire ce futur, nous avons des outils formidables : parmi ceux-ci nos ressources hydrauliques, bien sûr, mais aussi et je dirais surtout, surtout, le talent.

Nos écoles, nos universités, nos centres de recherches, nos ONG et nos entreprises regorgent de talents. À nous de les mettre à profit, de supporter leurs efforts, de canaliser leur savoir pour développer et déployer des solutions nouvelles à la mesure des défis modernes.

Une politique énergétique, ce n’est plus seulement une affaire de briques et de mortier, de barrages, de gazoducs, de pipelines et de lignes de transmissions, aussi formidablement importants ces actifs soient-ils. C’est aussi une affaire de matière grise.

Et de posture mentale.

En concevant notre futur énergétique, nous devons faire preuve :

De lucidité, parce qu’il faut prendre la pleine mesure de la montagne qui se dresse devant nous;

De pragmatisme, parce que nous devrons avoir l’intelligence de faire les bons choix pour l’escalader;

Et de transparence, parce que si on veut réussir et se rendre au sommet, tous les québécois doivent savoir dans quoi on s’embarque.

Je reprends ces points. Ce sera l’essentiel de mon propos.

*****

Lucidité.

En 2012, le Québec était parvenu à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 6 % par rapport au niveau de 1990. Cela fait du Québec l’une des rares sociétés d’Amérique du Nord à avoir atteint la cible du protocole de Kyoto.

Mais on y est arrivé comment?

Qu’avons-nous fait individuellement?

Avons-nous changé nos habitudes?

Les ventes de VUS ont-elles baissé?

Non.

La réalité, c’est que si le Québec a pu atteindre ce premier jalon qu’était Kyoto, c’est essentiellement grâce à ses industries, à ses usines. Et on y est arrivé de deux façons : tantôt, heureuse, tantôt malheureuse.

La façon heureuse, ce sont des entreprises qui ont investi collectivement des millions de $ pour améliorer leurs procédés. Des exemples comme Cascades ou encore l’industrie de l’aluminium, ça nous rend fiers. Dans d’autres domaines, toutes sortes d’usines se sont aussi modernisées. Beaucoup ont aussi fait le choix de convertir leurs systèmes de chauffe, passant du mazout au gaz naturel, réduisant du coup leurs émissions de GES de 32 %. C’est tout ça, la façon heureuse.

Puis il y a la façon malheureuse : des usines qui ont fermé. Dans les dernières années, les secteurs pétrochimique, forestier et manufacturier ont été durement éprouvés. Une usine fermée n’émet plus de GES. Une usine fermée émet du chômage, de la pauvreté et de la détresse.

Avec ce mélange de solutions heureuses et malheureuses, le secteur industriel québécois a déjà réduit ses émissions de GES de plus de 20 % par rapport à 1990. Nos industries ont fait leur part.

Bien sûr, il aura d’autres améliorations technologiques; il y aura d’autres procédés qui seront inventés et qui seront moins émissifs; il y aura d’autres conversions, notamment du mazout au gaz naturel, on y travaille. Mais on ne peut plus escompter du secteur industriel d’immenses progrès additionnels en l’espace de quelques années.

Voyons maintenant nos prochains rendez-vous. Le Québec a pris pour engagement de réduire ses émissions globales de GES de 20 % d’ici 2020. Puis de 37,5% à l’horizon 2030, toujours comparativement au niveau de 1990.

Il nous a fallu 10 années, parmi lesquelles une crise économique, pour nous rendre à -6% en 2012.

Depuis, malheureusement, on piétine.

Le dernier bilan indique qu’en 2013 nous en étions à environ -8.6%. Nous n’avons que très peu progressé.

Ajoutant au défi, la cimenterie McInnis, qui sera mise en service l’an prochain, augmentant à elle seule de 2% l’ensemble des émissions du Québec.

On va donc glisser et revenir en arrière.

À la manière du jeu de Parchesi, on monte des échelles et on descend des serpents.

Le temps presse. Il en reste moins devant nous que dernière nous et la tâche est colossale!

La pente de la montagne devant nous est abrupte.

Il faut se le dire clairement.

Pas pour se faire peur. Pas pour abandonner.

Au contraire. Pour prendre notre élan.

*****

Ce qui nous mène au pragmatisme.

Il n'y pas d’énergie idéale.

Une énergie pas chère, sans empreinte environnementale, facile à transporter, disponible partout et en tout temps, n’existe pas. En tout cas, pas encore.

Nous devons donc recourir à un bouquet de solutions. Il nous faut du travail et de l’argent.

Et il nous faut allouer ces deux ressources avec grand discernement.

À mes yeux, la politique énergétique du Québec doit viser deux objectifs :

Attirer et servir de façon compétitive et fiable le plus grand nombre possible de consommateurs : ce qui supporte notre ambition économique de développement;

Et faire en sorte que ces mêmes consommateurs consomment le moins et le mieux possible, ce qui supporte notre ambition environnementale.

Malgré les apparences, les deux objectifs ne sont pas en contradiction.

J’en ai pour preuve l’évolution de la consommation des clients de Gaz Métro au Québec.

En 15 ans, nous avons raccordé plus de 60 000 nouveaux clients. Leur nombre atteint maintenant 200 000.

Au cours de la même période, nous avons déployé plus de 110 000 initiatives d’efficacité énergétique auprès de notre clientèle. Vous avez bien entendu. Un ratio de déploiement de plus de 50%. Tant et si bien que nous avons réussi à effacer plus de 2 fois la consommation de tous les nouveaux clients résidentiels que nous avons raccordé depuis l’année 2000.

En matière d’efficacité énergétique, le Québec peut et doit faire encore mieux dans le futur.

Les images satellites prises du haut des airs la nuit sont éloquentes. Montréal est aussi lumineuse que New-York qui compte pourtant 6 fois plus d’habitants. Ça nous coûte pas cher. Alors on s’éclaire.

Qui parmi nous a baissé de 5 degrés son thermostat ce matin avant de quitter la maison?

Qui d’entre nous ferme son chauffe-eau lorsqu’il ou elle quitte pour un long weekend?

Et bien moi non plus.

Consommer mieux maintenant.

Cela signifie qu’il faut recourir aux énergies renouvelables lorsque possible et aux alternatives moins émissives.

Il faut donc réduire l’emprise des produits pétroliers sur notre économie qui représentent environ 40% de notre diète énergétique actuelle. Et il faut le faire sans freiner cette même économie.

L’éléphant dans la pièce, c’est le secteur du transport qui génère près de 45 % des émissions de GES du Québec. La politique énergétique doit s’y attaquer sérieusement.

Environ les deux tiers des GES de ce secteur sont issus des transports personnels. L’autre tiers venant essentiellement des véhicules lourds.

Entrent en scène la complémentarité et la complicité entre l’électricité et le gaz naturel pour remplacer graduellement l’essence et le diesel. Je m’explique.

Encourager le recours accru aux transports en commun et à l’électricité pour se mouvoir fait plein de sens.

Pour leur part, les véhicules lourds représentent près du tiers des émissions du secteur des transports, mais ne regroupent que 4% des véhicules. Pensez grands camions de 53 pieds, bennes à vidanges par exemple.

Pour ces applications, comme pour le transport maritime d’ailleurs, l’électricité ne sait pas faire. Le gaz naturel, oui. Moins émissif que le pétrole, le gaz naturel utilisé comme carburant permet des réductions de GES de l'ordre de 25%. Ce n’est pas parfait, mais c’est beaucoup mieux.

Transports Robert, CAT, EBI, la Société des traversiers du Québec, le Groupe Desgagnés, ont fait le choix du gaz naturel pour réduire leur empreinte environnementale et leur facture énergétique. Moi, j’appelle cela un bullseye dans une politique énergétique. Le programme gouvernemental Éco-camionnage en est certainement un qui revient le moins cher la tonne!

Toujours pour des raisons techniques, l’électricité ne peut pas remplacer l’intégralité des produits pétroliers utilisés dans certains procédés ou pour la chauffe industrielle. Là encore, le gaz naturel peut et doit prendre la relève. Mais voilà que les prochaines charges sont éloignées de notre réseau gazier : Chibougamau, Sept-Îles, Port-Cartier, Matane.

Qu’à cela ne tienne, nous irons porter notre gaz naturel sous forme liquide. Nous investissons actuellement avec Investissement Québec 120 millions de dollars afin d’accroître notre capacité de liquéfaction pour être en mesure de servir les clients en zones éloignées. Le Québec est un pionnier en la matière. Le traversier de Matane, la mine de Diamants Stornaway, Arcelor Mittal sont les tout premiers exemples de frontières pétrolières.

Mais nous allons faire plus. Nous allons verdir le gaz naturel que nous distribuons pour le rendre encore plus doux pour l’environnement.

Là encore, le génie québécois est à l’œuvre. La ville de Ste-Hyacinthe opère depuis peu une usine de biométhanisation qui transforme les résidus agricoles en gaz naturel vert, renouvelable et québécois. La Ville s’en sert pour chauffer ses bâtiments en remplacement du gaz naturel traditionnel. Gaz Métro achètera l’excédent et l’injectera dans son réseau pour le bénéfice de tous les consommateurs de gaz naturel du Québec. Dont la Ville de Ste-Hyacinthe elle-même qui a converti une partie de sa flotte au gaz naturel.

Il faut multiplier ce modèle un peu partout au Québec.

Et il nous faut continuer d’innover. Il faut travailler à transformer la biomasse forestière québécoise en gaz naturel renouvelable. Et pourquoi pas éventuellement injecter dans notre réseau gazier de l’hydrogène fabriqué à partir de notre électricité renouvelable.

En 2020, Gaz Métro souhaite injecter 5 % d’énergie renouvelable dans son réseau.

En 2030, on pourrait viser 15%

En 2050, peut-être que le gaz naturel que l’on distribue sera 2 fois moins émissif qu’il ne l’est actuellement!

Un grand défi, oui. Une utopie, non.

Gaz Métro prend son élan. Elle est prête pour la suite.

Le pragmatisme, c’est notamment comprendre que tous les hydrocarbures ne sont pas équivalents.

Que le gaz naturel est le plus propre d’entre tous.

Et que contre intuitivement pour certains, il sera nécessaire d’accroître sa contribution à notre bilan énergétique pour déplacer le charbon et une part des produits pétroliers que l’électricité n’est pas en mesure de repousser.

Le pragmatisme, c’est notamment comprendre que le recours accru au gaz naturel est une condition nécessaire pour rencontrer nos deux prochaines obligations collectives de réduction de GES. À moins qu’on ne ferme la porte au développement économique du Québec et que nos industries se délocalisent.

Voilà ce que j’ai eu l’occasion de partager avec Monsieur Couillard à Paris. Voilà ce que j’espère retrouver dans la nouvelle politique énergétique aujourd’hui.

*****

Un mot enfin sur la transparence.

C’est une responsabilité qui incombe d’abord au gouvernement, mais aussi à chacun de nous : entreprises, citoyens, environnementalistes.

Il y a ici une évolution culturelle à faire. Je vais le dire de manière un peu carrée : c’est un apprentissage qu’on va devoir faire parce que nous n’avons pas de culture de la transparence au Québec.

Si on veut embarquer les citoyens dans une transformation de leurs habitudes et de l’organisation de leur vie, il va falloir jouer franc jeu.

On est rendus à mettre dans la balance, un des symboles du mode de vie nord-américain, de la liberté telle qu’on la conçoit encore : un char à la porte… quand ce n’est pas deux ou trois ou… quatre.

Jusqu’à maintenant, le plus important sacrifice environnemental qu’on a demandé aux citoyens, c’est d’apporter des sacs réutilisables à l’épicerie et de s’adapter à la cueillette sélective.

La game vient de changer.

Le gouvernement doit avoir le courage de dire des choses impopulaires, comme le prix de la lutte contre les changements climatiques.

De leur côté, les médias, les dirigeants d’entreprises, les partis d’opposition, les citoyens vont devoir être prêts à participer avec ouverture à un débat de fond.

C’est le plus gros défi qui est devant nous.

À l’heure actuelle, à moins d’être des initiés, il est difficile de savoir combien coûte la lutte contre les changements climatiques et combien elle coûtera dans 5 ans ou dans 10 ans.

Le Québec a mis en place un marché du carbone, le SPEDE, le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission.

Quelles en sont les implications? Combien coûte-t-il aux entreprises et aux citoyens du Québec? Combien rapporte-t-il? Et à qui?

Au rythme actuel, le Québec n’atteindra probablement pas son objectif de réduction de GES de 20 % d’ici 2020.

Au mieux, le Québec va vraisemblablement parvenir à réduire ses GES d’environ 15%.

Cela signifie que pour rencontrer nos obligations, nos entreprises, vous et moi allons devoir payer des crédits compensatoires pour atteindre les 5 % manquants.

À l’échelle du monde, ça marche. Ce qu’on ne réduit pas ici, on le réduit ailleurs. Mais dans une perspective un peu plus micro, quand on ne réussit pas à réduire les GES de notre propre économie, on a d’autre choix que de sortir de l’argent de chez nous. Pour s’acheter une virginité auprès d’autres partenaires qui eux auront atteint leurs objectifs.

D’ici 2020, des centaines de millions de dollars seront dépensés par le Québec pour acheter à l’extérieur de nos frontières les droits d’émission requis pour compenser le retard pris à réduire nos GES.

Nous sommes déjà, aujourd’hui, engagés dans une bataille qui a un prix et ce prix, il sera inévitablement payé par les citoyens.

L’essence coûte plus cher au Québec à cause du marché du carbone. 4 sous du litre aujourd'hui. De plus en plus cher par la suite.

Nos clients paient aussi plus cher à cause du marché du carbone.

De plus en plus, nous paierons des produits plus chers à cause du marché du carbone.

C’est précisément l’objectif : accroître le prix des produits carbonisés pour en réduire la demande.

Suffit de l’expliquer.

*****

Je conclurai en disant que l’Accord de Paris et les engagements pris par le gouvernement du Québec, et les engagements à venir du nouveau gouvernement fédéral, vont inévitablement déclencher chez nous une révolution économique, sociale et environnementale.

Cette révolution est celle d’un progrès. Au final, nous allons mieux vivre; nous allons respirer un air plus sain, nous allons faire un meilleur usage de notre seule planète et de ses ressources limitées.

Oui, le chemin à parcourir est long et très ardu.

Pour autant qu’on se dise entre nous les choses telles qu’elles sont, je crois que nous avons ce qu’il faut pour réussir.

Quand je regarde nos universités, nos centres de recherche, nos leaders industriels, notre savoir en énergies renouvelables, en technologie, toute notre jeunesse qui a maintenant un goût d’entreprendre parmi les plus élevés au Canada, je me dis que c’est pour nous. Cette époque peut être celle de notre succès.

Voilà ce que j’espère retrouver dans la politique énergétique qui sera rendue publique aujourd'hui.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite une belle journée.

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