4e édition du Sommet sur l’énergie, Les Affaires - Allocution de Sophie Brochu
29 Janvier 2016 - Allocutions
Montréal, le 26 janvier 2016
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,
J’adresse d’abord mes félicitations et mes remerciements au groupe Les Affaires pour la tenue de ce 4e Sommet sur l’énergie.
L’énergie est le sang de l’économie; c’est une composante fondamentale de la géopolitique mondiale; elle est au cœur de l’identité québécoise et canadienne; et elle est bien sûr l’enjeu central du plus important défi auquel fait face l’humanité, celui de la lutte aux changements climatiques.
On ne s’étonnera donc pas que l’énergie suscite les passions.
Cette journée où on discute d’énergie à tête reposée est donc nécessaire.
Bravo.
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Je salue spécialement le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, M. Pierre Arcand, qui me précédait.
Monsieur le Ministre, je reconnais la volonté de votre gouvernement d’élaborer une politique énergétique qui réconcilie le développement économique et la réduction des gaz à effet de serre.
C’est un défi qui est le propre de notre époque et auquel doivent se livrer à peu près tous les pays du monde.
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Nous nous retrouvons pour parler d’énergie quelques semaines après la conclusion d’un accord historique sur le climat à Paris.
J’y étais à la COP21.
Énergir était une des rares entreprises québécoises et canadiennes qui étaient présentes à la conférence de Paris.
Je voulais y être pour une raison qui me semble tellement évidente : si les compagnies d’énergie font partie du problème, elles font donc aussi, et inévitablement, partie de la solution.
Les compagnies d’énergie ne doivent pas être exclues de la table et encore moins s’auto-exclure.
Tout le monde doit mettre l’épaule à la roue.
À Paris, le monde a signé un accord qui dit essentiellement trois choses :
- Premièrement, les signataires s’engagent à agir de manière à limiter la hausse des températures « bien en deçà de 2°C », c’est écrit de cette façon. Parce qu’on croit maintenant, que même à 2°C, de nombreux États insulaires et de nombreuses villes côtières seront noyés ou rendus inhabitables avant la fin du siècle.
- Deuxièmement, les signataires s’engagent à réviser leurs objectifs de réduction des gaz à effet de serre à tous les 5 ans à partir de 2025 et à marquer une progression dans leurs objectifs.
- Et troisièmement, à partir de 2020, les pays développés, dont fait partie le Canada, vont verser un minimum de 100 milliards de dollars… par année aux pays en développement pour les aider à s’adapter aux changements climatiques et à réduire leurs GES.
C’est de cette façon que l’histoire s’est écrite.
À Paris, comme citoyenne du monde, j’ai été renversée de voir cette mobilisation mondiale, 195 pays, qui se sont réunis pour affronter ensemble les changements climatiques.
À Paris, comme citoyenne du Canada, j’ai été ravie de voir le changement d’attitude du gouvernement fédéral. À Paris, le Canada a refait surface après une hibernation de 10 ans.
Et à Paris, comme Québécoise, j’étais fière de voir que le Québec était reconnu pour son leadership et pour son rôle de pionnier de la lutte contre les changements climatiques en Amérique du Nord.
Paris, si douloureusement blessée quelques semaines plus tôt, est redevenue le 12 décembre la ville lumière du monde.
Mais maintenant, le party est fini.
Les kodaks sont partis.
Le vrai travail commence.
Si j’ai un souhait pour 2016, c’est qu’on fasse tous ensemble cette prise de conscience; qu’on réalise l’ampleur de ce qui est devant nous, comme défi, comme travail et comme potentiel.
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Pour ce faire, nous avons trois devoirs à assumer.
- L’ambition, parce que l’envergure de la tâche nous interdit de penser petit.
- Le pragmatisme, parce que nous devrons avoir l’intelligence de faire les bons choix.
- Et la transparence, parce que si on veut réussir, les citoyens doivent savoir dans quoi on s’embarque.
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Je reprends ces points. Ce sera l’essentiel de mon propos.
L’ambition.
Ce qui est devant nous est immense. Il faut le dire clairement.
En 2012, le Québec est parvenu à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 8 % par rapport au niveau de 1990. Cela fait du Québec l’une des rares sociétés d’Amérique du Nord à avoir atteint, et même dépassé, la cible du protocole de Kyoto.
On peut en être fiers.
Mais on y est arrivés comment?
Avez-nous changé nos habitudes?
Est-ce que les ventes de VUS ont baissé?
Non.
La réalité, c’est que si le Québec a pu atteindre les cibles de Kyoto, c’est essentiellement grâce à ses industries, à nos usines. Et on y est arrivés de deux façons : la façon heureuse et la façon malheureuse.
La façon heureuse, ce sont des entreprises qui ont investi pour améliorer leurs bilans. Beaucoup d’usines se sont modernisées. Beaucoup ont aussi fait le choix de convertir leurs équipements, passant du mazout au gaz naturel, réduisant du coup leurs émissions de GES jusqu’à 32 %. C’est tout ça, la façon heureuse.
Puis il y a la façon malheureuse : des usines qui ont fermé. Dans les dernières années, le secteur forestier et le secteur manufacturier ont été durement éprouvés. Une usine fermée n’émet pas de GES. Une usine fermée émet du chômage, de la pauvreté et de la détresse.
Avec ce mélange de solutions heureuses et malheureuses, le secteur industriel québécois a déjà réduit ses émissions de GES de plus de 20 % par rapport à 1990. Alors, de grâce, cessons de pointer un doigt accusateur vers nos entreprises lorsqu’on parle de changement climatique.
Bien sûr, il y aura d’autres améliorations technologiques; il y aura d’autres procédés qui seront inventés et qui seront moins émissifs; il y aura d’autres conversions du mazout au gaz naturel, on y travaille. Mais on ne peut plus escompter du secteur industriel ces immenses progrès de 20 % de réduction de GES en l’espace de quelques années.
On ne peut plus faire ça.
Ce qui veut dire que c’est maintenant à notre tour de tirer le train. C’est à notre tour en tant que citoyens.
Parce que pendant que les entreprises nous faisaient bien paraître au palmarès mondial de la lutte contre les changements climatiques, nous, les citoyens du Québec, avons continué comme si de rien n’était.
Dans le Grand Montréal, le parc automobile continue de croître significativement plus vite que la population1. C’est probablement la même chose dans toutes les régions du Québec.
Il va falloir se mobiliser, être prêts à changer nos habitudes et à organiser différemment notre vie, pour nos enfants.
C’est une ambition populaire qu’il faut se donner.
Il va falloir se mobiliser en comprenant que si on ne fait pas notre part, nous allons voir encore plus de migrants désespérés dans les prochaines années. Cette fois, ce seront des réfugiés climatiques.
C’est une ambition solidaire qu’il faut se donner.
Tout ce qui bouge aujourd’hui va devoir bouger différemment dans 35 ans. Nous sommes à l’aube d’une révolution économique, environnementale et sociale. Le monde entier a besoin de solutions. Les sociétés qui vont les trouver ces solutions vont être les plus prospères des prochaines décennies.
Alors il faut donc se donner aussi une ambition économique.
Les prochaines étapes sont sur nos épaules, comme citoyens, consommateurs, contribuables, entrepreneurs, parents.
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C’est pourquoi le deuxième devoir que nous avons est le pragmatisme. C’est le bon sens.
Il n’y a pas de solutions magiques. Il faut du travail et il faut de l’argent.
Il ne sert à rien de se braquer. Revendiquer l’élimination pure et simple et immédiate du pétrole ne nous fait pas avancer.
S’opposer à tout projet de développement économique, à tout projet industriel n’est pas non plus une solution. On ne peut pas lutter contre les changements climatiques par l’appauvrissement.
Renier le consensus scientifique sur la cause des changements climatiques n’est pas non plus un progrès.
Le pragmatisme, c’est l’intelligence de se parler, la sagesse de trouver le terrain d’entente.
Je vous donne un exemple.
Énergir fait partie d’un groupe qui s’appelle l’alliance Switch, qui a pour but d’accélérer le passage du Québec vers une économie plus verte.
À une même table, on trouve des partenaires qui peuvent, pour certains, paraître improbables, des gens et des groupes qui ont déjà été perçus des adversaires mais qui ont compris qu’il vaut mieux pour le bien commun de travailler sur ce qui nous unit plutôt que sur ce qui nous divise.
Des industriels, des investisseurs, des groupes environnementaux, des compagnies d’énergie. Tous prêts à travailler avec les autres pour mieux produire, moins polluer et innover.
Le pragmatisme, c’est aussi reconnaître que pour atteindre nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre, il faut un ensemble de solutions.
Ça va des grandes politiques gouvernementales à nos petits gestes individuels; des transports publics à une nouvelle organisation du travail et des déplacements.
Et la question de l’énergie est centrale.
L’efficacité énergétique, parce que la seule énergie véritablement verte est celle dont on parvient à se passer.
L’électricité renouvelable et au Québec, on est gâtés avec l’hydroélectricité.
Le développement des autres énergies renouvelables, comme le biométhane, un gaz naturel vert produit à partir de nos résidus agricoles et domestiques.
Le remplacement d’énergies plus polluantes, comme le mazout et le diesel, par des énergies plus propres.
Le développement de nouvelles solutions. La Société des traversiers du Québec, par exemple, a pris possession d’un premier traversier fonctionnant au gaz naturel liquéfié.
On voit aussi de plus en plus de camions lourds qui utilisent du gaz naturel liquéfié et des véhicules de livraison ou de cueillette sélective qui utilisent du gaz naturel comprimé.
Nous sommes à l’aube d’une transformation dans le domaine des transports.
C’est le gros morceau, celui auquel on doit s’attaquer ; environ 44 % des émissions de GES du Québec viennent du secteur des transports.
Et quand on prend toutes les émissions du secteur des transports, l’automobile personnelle compte pratiquement pour les deux tiers.
On est rendus là.
On est rendus à mettre dans la balance, un des symboles du mode de vie nord-américain, de la liberté telle qu’on la conçoit encore : un char à la porte… quand c’est pas deux ou trois.
Jusqu’à maintenant, le plus important sacrifice environnemental qu’on a demandé aux citoyens, c’est d’apporter des sacs réutilisables à l’épicerie et de s’adapter à la cueillette sélective.
La game vient de changer. La game doit changer.
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C’est pourquoi le troisième devoir que nous avons est celui de la transparence.
C’est une responsabilité qui incombe d’abord au gouvernement, mais à chacun de nous aussi comme citoyens.
Il y a ici une évolution culturelle à faire. C’est un apprentissage qu’on va devoir faire.
Si on veut embarquer les citoyens dans une transformation de leurs habitudes et de l’organisation de leur vie, il va falloir jouer franc jeu.
Le gouvernement doit avoir le courage de dire des choses impopulaires, comme le prix de la lutte contre les changements climatiques. De l’autre côté, les médias, les partis d’opposition, les citoyens vont devoir être prêts à participer avec ouverture à un débat de fond.
C’est le plus gros défi qui est devant nous.
À l’heure actuelle, à moins d’être des initiés, il est difficile de savoir combien coûte ou rapporte la lutte contre les changements climatiques et combien elle coûtera dans 5 ans ou dans 10 ans.
Le Québec a mis en place un marché du carbone, le SPEDE, le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission.
Énergir voit d’un bon œil la mise en place de ce système. Cependant, des questions demeurent.
Quelles en sont toutes les implications?
Le Québec s’est fixé pour objectif de réduire ses GES de 20 % d’ici 2020.
Les Québécois savent-ils que cet objectif ne sera fort probablement jamais atteint de façon domestique?
Cela signifie que pour compléter l’engagement, les entreprises du Québec vont devoir importer des réductions réalisées hors du Québec chez nos partenaires du marché du carbone.
C’est le principe même du marché du carbone.
Le mécanisme n’est pas mauvais, entendons-nous. C’est même un puissant incitatif. Mais il faut le savoir, se le dire.
Nous sommes déjà, aujourd’hui, engagés dans une bataille qui a un prix et ce prix, il sera inévitablement payé par les citoyens.
L’essence coûte plus cher au Québec à cause du marché du carbone.
Nos clients, qui achètent du gaz naturel, paient plus cher à cause du marché du carbone.
De plus en plus, nous paierons des produits plus chers à cause du marché du carbone.
Et l’objectif actuel n’est que de 20 %.
Je vous rappelle que le gouvernement du Québec, dans les jours précédant COP 21 a annoncé qu’il avait fixé pour 2030 la cible de 37,5 % de réduction de GES.
En juillet dernier, le Québec a joint un regroupement appelé UNDER 2 MOU dont sont membres 18 signataires comme la Californie, l’Ontario, l’Écosse et des régions de France et d’Allemagne. Ce groupe se fixe comme objectif de réduire les GES de 80 à 95 % d’ici 2050.
Imaginez-vous ce qui s’en vient?
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J’ai confiance en nous. J’ai confiance dans la force, le talent, le caractère des Québécois. Je sais ce que nous avons comme capacité d’inventer et de nous mobiliser.
L’ambition de réussir cette transformation de notre société, elle est à notre portée. Je n’ai pas vraiment d’inquiétude.
Le pragmatisme, ça se travaille. La discussion sur les changements climatiques a atteint un niveau de maturité qui est encourageant. On voit maintenant des adversaires d’hier se donner la main.
Mais le défi de la pédagogie et de la transparence demeure entier.
L’Accord de Paris et les engagements pris par le gouvernement du Québec et les engagements à venir du nouveau gouvernement du Canada vont déclencher une révolution économique, sociale et environnementale.
Ultimement, nous devrions mieux vivre; respirer un air plus sain, faire un meilleur usage de notre seule planète et de ses ressources limitées.
Mais le chemin à parcourir sera long et très ardu. Et nous allons nous rendre à destination si et seulement si nous sommes capables d’avoir une relation franche et ouverte entre le gouvernement et les citoyens.
Merci.
1 Information tirée du rapport Signes vitaux 2015 du Grand Montréal de la Fondation du Grand Montréal, p. 13. Voici le passage : « La croissance du parc de véhicules automobiles de la Grande région de Montréal a été deux fois plus importante (+11,4 %) que celle de sa population (+5,1 %) sur une période de cinq ans (2008-2013). »